Rajendra Kumar Jain
7 192 kilomètres séparent la porte de sa maison de celle de son garage. Rajendra Kumar Jain vit et travaille à Londres, mais sa
Bienvenue à Mumbai, la vivante, la vibrionnante, le cœur battant d’un vaste monde de possibles. Ici, les cieux sont chargés des rêves, des regrets, des ambitions et des espérances de millions d’âmes. Comme toutes les métropoles, l’ancienne Bombay ne dort jamais. Mais elle réserve quelques surprises, et le temps y suspend parfois son vol, ne serait-ce que pour quelques secondes.
Nous vivons l’un de ces instants. Les doigts se tendent, les regards convergent, les yeux s’écarquillent, les têtes se tournent, les passants s’arrêtent, les smartphones sont de sortie. Une silhouette gracile, propulsée par un moteur à la voix inimitable, se fraye un chemin jusqu’à nous. Cette caisse surbaissée, cette allure ramassée… Au cœur de la métropole de 12 millions d’habitants, la voiture semble débarquer d’une autre planète.
La
Vivre au rythme effréné de Mumbai ne laisse que peu de place à l’émerveillement, et aucune à la découverte de l’inconnu. Mais l’instant que nous vivons fait figure d’exception. Cette voiture est une perle particulièrement rare : il s’agit en effet de la dernière
L’art en mouvement
En réalité, l’homme d’affaires, de son petit nom Raj, vit et travaille à Londres. L’administration indienne, toujours friande de sigles, lui a accordé une carte OCI de « citoyen indien d’outre-mer » (Overseas Citizenship of India), le nom officiel du statut dont relèvent les citoyens étrangers d’origine indienne. Raj Jain est sujet de Sa Majesté, mais son métier le fait voyager dans le monde entier.
Officiant dans le commerce d’art, d’antiquités, de montres de collection et d’autres objets de valeur, il possède une boutique sur Bond Street, au cœur du très chic quartier londonien de Mayfair et n’ignore rien de tout ce qui est rare et élégant. Nulle surprise donc à croiser dans son immense appartement donnant sur le sud de la baie de Mumbai un exemplaire de la revue spécialisée Antiques Trade Gazette… et dans son garage, une
Raj Jain n’a pas cherché la 356 : c’est elle qui l’a trouvé. « C’était le karma », dit-il avec un fort accent britannique, « un juste retour des choses ». Au début des années 1990, Raj Jain chinait dans la célèbre maison Christie quand il s’est trompé de salle d’enchères. « C’est là que j’ai aperçu cette superbe voiture, impeccablement conservée » se rappelle-t-il. Cette pièce de collection était mise à prix sans enchère minimale. « Instinctivement, j’ai levé la main. » D’autres acquéreurs étaient sur les rangs, mais Raj Jain était déterminé : il a rapidement remporté la mise, et ce pour moins de 1 000 livres sterling. Une aubaine, même pour l’époque.
Au lieu de garer sa nouvelle voiture près de son appartement de South Kensington, il a décidé de l’envoyer à Mumbai. Raj Jain se rend dans la métropole indienne deux fois par an : pour son travail, pour rendre visite à sa famille, et désormais pour sa
Pour entretenir sa
« Barry vérifiait le moteur de fond en comble : il le démontait pièce par pièce jusqu’au dernier écrou et le remontait à nouveau », explique Raj Jain. « J’avais fait installer une climatisation supplémentaire dans le garage pour qu’il puisse y travailler même par grande chaleur. » Il y a maintenant près de deux ans que Barry Curtis est décédé, et il semble manquer à la 356. Parfois, elle refuse de démarrer ou se grippe à l’allumage : sa joie de vivre semble quelque peu affectée. Barry Curtis, fidèle compagnon, ne sera pas oublié : le capot arrière de la voiture arbore une plaque métallique en sa mémoire. Un tout petit détail qui change tout, conférant encore davantage d’exlusivité à ce modèle.
Raj Jain esquisse un sourire et s’engouffre à nouveau dans le chaos routinier des rues de sa ville. Pour ceux qui découvrent le bouillon de langues, de religions et de cultures qu’est Mumbai, l’endroit peut paraître étrange et déconcertant. Mais son charme opère au contact de ses habitants et de leur talent inné pour réaliser l’impossible.
C’est avec un plaisir non dissimulé que Raj Jain slalome entre les voies de circulation. La 356 et ses 95 chevaux attirent tous les regards. Il quitte les boulevards bruyants, s’engage dans de vertes ruelles et passe devant de petits salons de thé enjolivés de multiples fioritures. La nuit commence à tomber et la 356 SC commence à se fondre dans le décor : il est temps de rentrer. Debout devant la porte ouverte du garage, Raj Jain la regarde longuement, avant de conclure : « Cette voiture m’était destinée. »
Texte Srinivas Krishnan
Photos Bengt Stiller
Modèle : 356 (1600) SC
Année de construction : 1965
Poids : 935 kg
Couleur : Blanc
Puissance : 95 ch (70 kW)