Un air de triomphe
En 1967, une
Tout a commencé sous les ultimes rayons de soleil d’une belle soirée d’été, autour d’un verre de bière. Avec une telle entrée en matière, l’article publié dans le numéro 90 de Christophorus en janvier 1968 laisse forcément présager un récit mémorable. Promesse tenue : le pilote suisse Rico Steinemann y retrace l’histoire extraordinaire de sa course haletante à Monza, auréolée de plusieurs records du monde. À l’occasion du cinquantième anniversaire de cette performance historique, le collectionneur
Confortablement installés, Rico Steinemann et Dieter Spoerry savourent un instant de détente entre deux courses de la saison 1967, que les deux pilotes disputent avec leur
« Pour améliorer la voiture sur le plan technique, il nous fallait absolument disputer autant de courses que possible, surtout en endurance », raconte Peter Falk, 84 ans, à l’époque responsable du développement et de la compétition. En 1967, les technologies de simulation numérique n’avaient certes pas encore investi les bureaux d’études. Pour s’assurer de la pertinence d’une option technique, il fallait la mettre à l’épreuve sur le terrain. Peter Falk : « C’est la raison pour laquelle
À rude épreuve
La reconquête commence le dimanche 29 octobre 1967 à midi, et Jo Siffert ouvre le bal. Chaque pilote conduit pendant une heure et demie avant de céder le volant, profitant ainsi d’une pause de quatre heures et demie. Au stand, le mot d’ordre est celui des scouts : toujours prêts ! « Chaque fois que la voiture passait sur l’ovale, nous tendions l’oreille. Si le bruit du moteur était normal, nous étions rassurés et nous nous autorisions une collation ou un peu de repos dans la caravane », se souvient Günter Steckkönig, à l’époque spécialiste châssis chez
La chasse au record prend fin au bout de 20 heures. En effet, le règlement de la Commission sportive internationale exige que pour les tentatives de record d’endurance, toutes les pièces de rechange soient à bord de la voiture. Seuls les jeux de roues, le cric, les bougies, l’essence et l’huile sont autorisés au stand. L’équipe avait tout prévu, sauf de devoir composer avec une chaussée aussi accidentée. Dans les deux virages relevés, jusqu’à 45° à certains endroits, l’asphalte de 1954 est truffé de nids-de-poule de la taille d’un ballon de football. « Un vrai champ de patates », se remémore Günter Steckkönig. La voiture subit de véritables coups de boutoir à chaque passage. Les chocs sont trop nombreux et trop violents pour un modèle de course aussi raffiné que la
Quelques heures plus tard, Heinz Bäuerle appelle Zuffenhausen depuis la frontière suisse. La police refuse de le laisser passer : la 911 R serait trop bruyante pour traverser le pays. Seule solution : reprendre la route de nuit et foncer vers Monza, contourner la Suisse, traverser Lyon, Grenoble, Turin pour rejoindre la Lombardie. Accompagné du motoriste Paul Hensler, Peter Falk s’élance à bord de l’autre 911 R. Par chance, ils partent juste après l’appel de Heinz Bäuerle, et choisissent de traverser l’Autriche par le col du Brenner. Quand ils arrivent à Monza le lendemain matin, la première 911 R est déjà démontée et les pièces détachées sont prêtes.
Un demi-siècle plus tard, la voiture est identique, mais le trajet est nettement plus détendu. Johan-Frank Dirickx et Bart Lenaerts ne courent pas contre la montre. Bien au contraire, ils enchaînent avec gourmandise les lacets alpins. Aux alentours de Lyon et Grenoble, ils multiplient les haltes pour prendre quelques photos et savourer ce road trip historique.
Rien à voir avec l’état d’esprit de l’équipe de 1967 : le mardi soir, à 20 heures, alors que les pilotes entament la deuxième tentative de record, il fait nuit depuis longtemps, des trombes d’eau s’abattent sur la piste. Dès la première heure, les ennuis commencent quand les carburateurs sont touchés par le givre. Rien de grave : les experts de BP rajoutent un additif au carburant, et ça repart. Dans l’espoir de ménager le châssis, Peter Falk a passé l’après-midi à repérer sur la chaussée les nids-de-poule par de grandes flèches blanches tracées à même le sol, pour permettre aux pilotes de les éviter. Et ça marche : la 911 R fuse sur l’asphalte. La pluie s’arrête enfin et la course au record continue sans accroc durant la journée puis la nuit du mercredi. Les arrêts sont bouclés en une minute montre en main : 90 litres d’essence, niveau d’huile, nettoyage du pare-brise, contrôle des suspensions. Les opérations s’apparentent à une mécanique bien huilée. Le circuit ne fait aucun cadeau à la 911 R, qui doit rentrer au stand pour un problème sur les jambes de suspension avant. Une fois encore, Günter Steckkönig et les mécaniciens réparent la voiture en un clin d’œil en montant les jambes de suspension qui sont à bord de la voiture, comme l’exige le règlement.
Le jeudi soir, la pluie revient. Nouveau problème : il n’y a plus de pneus pluie, et les spécialistes de Firestone doivent alors graver à la main les sculptures sur des pneus slicks. La 911 R repart braver la pluie à travers l’obscurité, avec pour seuls alliés les projecteurs situés en bas des bankings. Lancés à plus de 200 km/h, les pilotes s’orientent tant bien que mal à la lumière des éclairages. « Je revois encore le pilote Charles Vögele s’effondrer d’épuisement au stand après son relais. Il me dit avoir attaqué les bankings pratiquement à l’aveugle », raconte Günter Steckkönig. « Ces types étaient des durs à cuire. » Pendant la chasse aux records, le restaurant de l’autodrome était ouvert à toute heure du jour et de la nuit. Rico Steinemann avait même raconté y avoir mangé « un petit-déjeuner à huit heures du soir ».
Le vendredi soir, la tension est à son comble. Vers 19 h, la nouvelle tombe : la 911 R a parcouru 15 000 km à une vitesse moyenne de 210,22 km/h, un nouveau record. Peu après,
Aujourd’hui, Johan-Frank Dirickx et Bart Lenaerts enchaînent les tours, sur les traces d’un exploit retentissant, avec comme un air de triomphe : celui de la 911 R.
Texte Sven Freese
Photos Lies De Mol
Record du monde BP (1967)
Circuit : Autodromo Nazionale di Monza
Début de la course : 31 octobre à 20 heures
Fin de la course : 4 novembre à 20 heures
Modèle :