L’homme et la légende
August Achleitner affiche une parfaite maîtrise. Quand il est au volant de la
Il en est à sa troisième 911. Sur sa carte de visite, on peut lire « Directeur des gammes 718 et 911 », mais ce descriptif de poste ne rend pas compte de l’ampleur de sa tâche. D’aucuns lui attribueraient plutôt le titre de « gardien du temple », celui à qui l’on a confié une mission de première importance : veiller à la destinée de l’icône de la marque. August Achleitner n’oublie jamais d’où il vient ni où il va. Pour lui, il importe que « la 911 offre des sensations de conduite incomparables. » Mais comment fait-il pour supporter une telle responsabilité, pour s’acquitter d’une mission que lui envient tous les enfants du monde, pour remettre toujours l’ouvrage sur le métier ? Comment ne pas être tétanisé par l’enjeu, comme certains compositeurs ou poètes ont pu l’être devant une page blanche ?
Quand il conduit la 911, il refuse tout fond sonore. La musique le dérange, car il est à l’affût des sons émis par la voiture : « Pour comprendre une voiture, il faut d’abord l’écouter. » Il fait preuve de la même concentration au volant que dans son bureau à Weissach : « Je suis ingénieur dans l’âme, parfois jusqu’à l’excès. » Après quelques secondes de réflexion, il ajoute : « Mais je ne suis pas rationnel au point d’être incapable de m’enthousiasmer. »
Et comme tant d’amoureux de la marque, il se souvient parfaitement de sa première
Pour saisir toute la beauté de ces instants magiques, il faut se replonger dans le contexte de l’époque. Jeune ingénieur, August Achleitner évolue depuis l’enfance dans l’univers des automobiles haut de gamme. Son père occupe alors la fonction de directeur du développement chez BMW. Souvent, il revient au domicile familial au volant de nouveaux modèles BMW, ou d’autres marques. Cette période de découverte de l’automobile façonne la personnalité du jeune August, mais aussi sa relation à
Mais à l’époque où August Achleitner commence à se faire un nom chez
Mais le meilleur est encore à venir. Quand on demande à August Achleitner quelle était pour lui la période la plus passionnante de sa carrière, sa réponse ne manque pas d’étonner : 1991 et 1992.
August Achleitner s’implique toujours davantage dans son travail, même en dehors du bureau. « Nous avons décidé de l’empattement de la 996 un dimanche après-midi, autour d’un café », raconte-t-il. « Huit centimètres en plus. » Avec la 997, le nouveau responsable de la gamme 911 dirige pour la première fois le cycle complet de développement : « Après quatre ans de travail sous le sceau du secret et de la confidentialité, il faut présenter le modèle et s’exposer aux retours et aux critiques du public. » August Achleitner ressent une « tension énorme », car « certaines décisions sont purement instinctives. » Il se réjouit d’autant plus de l’accueil favorable que réservent les clients et la presse au fruit de son travail.
August Achleitner maîtrise parfaitement l’art de diriger une équipe de conception automobile : il faut donner la direction à suivre, tout en laissant une certaine liberté d’action. Les ingénieurs ont toujours un coup d’avance, et parfois ils passent à la vitesse supérieure avant tout le monde. Ainsi, la nouvelle 911 est équipée pour la première fois d’une boîte de vitesses à double embrayage PDK huit rapports. Avec ses passages de rapport extrêmement rapides, elle offre un plaisir de conduire plus intense que jamais. Le huitième rapport fait office de deuxième vitesse surmultipliée, ce qui permet de réduire la consommation. « L’étagement des rapports est encore plus harmonieux », ajoute August Achleitner. Au volant, ce passionné de routes de montagne éprouve les plus grandes difficultés à réfréner le technicien qui sommeille en lui : « L’ingénieur en moi reprend le dessus dès que la voiture ne fait pas ce que je veux. » Dans ce cas, le travail reprend à Weissach, jusqu’à ce l’ingénieur donne son feu vert : « Maintenant, elle est prête. » August Achleitner est un perfectionniste qui peaufine la voiture jusqu'à ce qu'il soit pleinement satisfait, comme lors de cet essai récent dans le Tyrol sous une pluie battante, où le nouveau
Ce rationaliste est à l’écoute de ses sensations et de son instinct : il « ressent » sa voiture, sur la Boucle Nord du Nürburgring comme sur son parcours préféré dans le Tyrol. S’il conduit régulièrement des modèles 911, il se passionne aussi pour la moto. Il est d'ailleurs convaincu que piloter une moto permet de mieux conduire une voiture : « En moto, il faut être beaucoup plus attentif à son environnement. On anticipe plus vite les situations potentiellement dangereuses, on a une vue d’ensemble du trafic et on ressent beaucoup mieux le comportement du véhicule et ses réactions sur la route. »
C’est la raison pour laquelle le quintuple champion du monde de moto Toni Mang compte parmi les idoles de jeunesse d’August Achleitner. Mais aussi, bien entendu, Walter Röhrl, qui évolue dans « une classe à part ». Le pilote fait depuis longtemps partie de ses amis : « Je l’aime beaucoup parce qu’il est authentique et sincère. Il est parfois un peu brut dans ses propos, mais il dit les choses telles qu’elles sont. Je ne pense pas être très différent de lui. »
August Achleitner et Walter Röhrl partagent de nombreux points communs : « Et pas seulement en matière d’automobile : Walter est passionné de sport, de VTT et de ski. Il se lève tôt et n’est pas du genre à se coucher à deux heures du matin. Je suis exactement pareil : pour moi, la journée du lendemain est trop importante pour ça. » Parfois, l’ingénieur joue les copilotes pour Walter Röhrl. Il est très impressionné par le calme du double champion du monde de rallye quand il est au volant : une qualité dont fait également preuve le responsable de la gamme 911.
Au-delà de leur caractère, si les deux hommes se comprennent bien, c’est aussi parce qu’ils ont en commun ce style si particulier : l’un l’exprime au volant, l’autre dans sa vie professionnelle. August Achleitner puise sa force dans sa maîtrise de soi. Il ne cède jamais à la panique. D’aucuns peuvent se laisser emporter par leurs émotions, pas lui, même aujourd’hui, à l’heure de la grande première de la nouvelle 911, bouquet final du directeur des gammes 718 et 911.
Texte Gerald Enzinger
Photos Christian Grund