Voix off en coulisse
Pendant une course, la bataille fait rage sur la route comme sur les ondes. L’équipe au stand est en contact permanent avec les pilotes et les machines : une communication high-tech soumise à des règles strictes. En cas d’incident, il faut savoir garder son sang-froid.
Sur le circuit, l’homme et la machine se donnent à plein régime. Il faut s’attendre à tout. Pendant que la voiture avale les tours, il faut garder en permanence un œil sur la technique. À chaque seconde. Soudain, une barre disparaît du diagramme. La valeur correspondant à la tension électrique affiche zéro. Alerte rouge ! Dans le stand, devant l’écran de télémétrie, l’ingénieur sait que la
Des ordres brefs sont échangés par radio entre l’ingénieur de course Mathieu Galoche et les experts en coulisse. « Emergency shutdown », « Start backup program. » Toujours en anglais, seule langue commune à chacun des membres du Team international. Traduction : le programme d’arrêt d’urgence a désactivé le système haute tension, le pilote doit le remettre en marche manuellement au volant. Celui-ci n’entend pas les échanges qui ont lieu par la radio interne, ce qui lui permet de rester concentré. L’équipe a trouvé l’origine de la panne : un passage un peu brutal en bordure de piste a déclenché un fusible prévu en principe pour couper le courant en cas d’accident. « OK », indique Mathieu Galoche à Romain Dumas par radio. « Nous avons la solution : voilà ce que tu vas faire… » Les instructions sont complexes. L’ingénieur explique au pilote comment trouver sur son volant saturé d’une vingtaine de touches celle qui lui permettra de réinitialiser l’électronique de la voiture. En pleine course.
Mais ça marche ! « Copy », « compris » répond le pilote. De son côté, l’ingénieur chargé de la télémétrie a déjà vu que le système fonctionne : la barre s’affiche à nouveau sur le diagramme. Via la radio interne, il indique à l’ingénieur de course le succès de la manœuvre. Le redémarrage de l’électronique a certes fait perdre un peu de temps, mais les systèmes de récupération d’énergie sont opérationnels, la voiture est prête à foncer.
Pour permettre ces interventions, la
Galerie.
Qui parle à qui ? Pour éviter de déconcentrer le pilote, une seule personne est autorisée à lui parler – son ingénieur de course. À chaque voiture son ingénieur, installé dans le poste de commande le long des stands. Les autres ingénieurs lui transmettent pléthore de données et l’informent en permanence de l’état du véhicule et du comportement des autres concurrents. L’ingénieur en stratégie lui soumet des propositions pour une situation donnée, par exemple le Crew Chief veut savoir s’il faut changer les pneus au prochain arrêt et, si oui, quel jeu de pneus sera le plus adapté.
L’ingénieur de course doit en permanence garder son sang-froid. Ses canaux radio ne sont pas classés par ordre d’importance, il entend tout le monde parler et ne doit jamais manquer une communication du pilote. Quand celui-ci indique que le comportement du véhicule a changé, que les pneus se dégradent ou qu’une défaillance se profile, il doit agir immédiatement. Mais surtout sans précipitation ! Lorsque le pilote l’informe qu’il ne peut plus continuer avec des pneus slick usés sous la pluie, l’ingénieur de course doit pouvoir évaluer la situation en une fraction de seconde. D’un côté, l’ingénieur chargé de surveiller la photo satellite lui indique qu’il ne pleut que sur cette portion de route et que l’averse va bientôt cesser ; de l’autre, ses collègues qui observent le comportement des concurrents confirment que certains ont déjà pris le chemin des stands pour mettre des pneus pluie. À lui de calmer le pilote et de le laisser continuer. « Keep the car on track, rain will stop soon, don’t worry, you are doing well, mate. »
La voix puissante de Stephen Mitas, ingénieur de course de la voiture numéro 20, masque le stress. Pourtant, le risque zéro n’existe pas. Comme au poker, bluffer pour prendre l’avantage sur la concurrence fait partie du sport automobile. Par mesure de précaution, l’ingénieur de course informe le Crew Chief et les mécaniciens : « Préparez-vous pour la voiture numéro 20. Service complet. Ravitaillement, changement de pneus et de pilote. » Brendon Hartley enfile son casque et ses gants. Le jeu de pneus numéro quatre est déjà prêt.
La direction de la course entend également tous les échanges avec le pilote. Par exemple, si un pilote d’un prototype LMP1, catégorie reine du Championnat du monde d’endurance, signale « Blue flag, blue flag ! », cela signifie qu’un véhicule l’empêche de doubler. La direction de la course doit alors s’assurer qu’un commissaire aux drapeaux montre le drapeau bleu au pilote récalcitrant et le pénalise s’il refuse d’obtempérer. Pour le plus grand plaisir des spectateurs, les échanges entre le pilote et son ingénieur de course sont parfois retransmis à la télévision. Certains codes ne sont toutefois compris que par les initiés pour éviter de renseigner les concurrents.
Les moyens de communication modernes disponibles lors des courses automobiles d’endurance impliquent pour tous les participants de longues heures d’attention sans faille. Garder ses sens en alerte, en permanence. Une sollicitation poussée à l’extrême. Pourtant, même aujourd’hui, la défaillance des systèmes radio pendant une course n’est pas exclue. Comme autrefois, les indications du tableau de panneautage sont alors le seul moyen de communication entre le pilote et son Team. Mais, dans le cas présent, il aurait été impossible d’y inscrire les informations nécessaires au redémarrage complexe de l’électronique et Romain Dumas n’aurait de toute façon pas eu le temps de les lire en passant devant. En débriefing, sans écouteurs et dans un calme relatif, chaque étape est minutieusement analysée. Comment améliorer les conditions de coupure automatique du système ? Et comment faire pour le réactiver le plus rapidement possible ? À l’issue de la discussion, un nouveau code est né pour la communication radio : « strat » pour stratégie, suivi de deux chiffres. Un code qui, au besoin, passerait aussi dans le tableau de panneautage !
Texte Heike Hientzsch
Photos Jiří Křenek