Fin prêt
Seefeld/Tyrol. Être pilote d’usine chez
Entre la dernière course à Bahreïn et le début de la saison, il s’écoule quelques mois. Que fait un pilote d’usine
C’est de décembre à février que je m’entraîne le plus. Au programme : surtout des sports d’hiver. Je n’aime pas beaucoup le sport en intérieur, donc j’essaye de m’entraîner au maximum dans la nature. Ski de fond, randonnées à raquettes, ski de randonnée sont mes activités préférées. C’est déjà une bonne combinaison de puissance et d’endurance. Je fais en plus des exercices pour la nuque et le buste. Pendant la saison de compétition, la nuque est automatiquement entraînée par la conduite. Ajoutez à cela des exercices de concentration et de focalisation.
En quoi consistent les exercices de concentration ?
Il existe différents systèmes, mais je peux vous parler par exemple d’un exercice qui est tout sauf spectaculaire : la concentration dans un contexte de monotonie. Il y a cinq triangles côte à côte sur un écran, et quand trois d’entre eux ont la pointe en haut, il faut appuyer sur un bouton. Et ça, pendant 45 minutes. Ce qui est difficile, c’est qu’on ne sait pas combien de temps le test va encore durer. Plus ça avance, et plus on n’a qu’une seule envie : que ça s’arrête ! Croyez-moi, à la fin, on ne voit même plus les triangles tellement on s’est concentré sur eux. Il y a des courses pendant lesquelles on est seul pendant deux heures, sans adversaire direct, et on ne peut pas se permettre de laisser ses pensées divaguer. Sur un circuit comme celui du Mans, où la vitesse moyenne atteint jusqu'à 249 km/h, les conséquences pourraient vite être fatales. Il y a aussi des tests dans lesquels des cercles de couleurs apparaissent à l’écran, de plus en plus vite, c’est à la fois un exercice de concentration et de réaction.
Les mois d’hiver servent à préparer à la saison suivante. Comment t’entraînes-tu durant la saison ?
Là aussi, j’essaie de m’entraîner au maximum en extérieur. L’été, je fais essentiellement du vélo, soit du cyclisme, soit du VTT, ou encore de l’alpinisme, par exemple sur le Niesen. La Suisse est le pays idéal pour ce genre d’activités ! L’aviron ou l’escalade sont parfois aussi au programme. Du point de vue de l’intensité, l’entraînement en cours de saison est plutôt axé sur les bases, donc je fais ce qui me plaît. S’entraîner ne veut pas dire chercher tout le temps à se surpasser. La plupart du temps, on fait des exercices de fond sans chercher à franchir ses limites.
Qui établit ton programme d’entraînement ?
Helmut Fink est mon entraîneur depuis 13 ans. Il me connaît très bien maintenant ! D’autres pilotes s’entraînent aussi avec lui. C’est lui qui concocte mes programmes d’entraînement.
Existe-t-il chez
Non. Chez
Tu préfères t’entraîner seul ou avec des collègues ?
À la maison, je m’entraîne généralement seul, mais en fonction du programme de la semaine, j’essaie d’embarquer des amis, c’est plus agréable et ça change un peu. Malheureusement, ils ne sont disponibles que le weekend, quand moi je suis sur les circuits ! Quand je suis chez Helmut Fink, il participe toujours à l’entraînement, ce qui est mieux pour l’intensité, car nous, les pilotes, nous essayons toujours d’être meilleurs que lui, et ce n’est pas facile.
Peux-tu nous décrire la journée d’entraînement type à Seefeld ?
Quel est le déroulement habituel ? Nous commençons tous les jours à 7h30 ou 8h par le Morning Stretching, un mélange de yoga, de stretching et d’exercices de respiration, pour conserver un corps souple. Les étirements sont très importants pour éviter un raccourcissement des muscles et compenser notre position assise en voiture, très recroquevillée. Ensuite nous allons déjeuner. Après, nous faisons des jeux et des exercices de coordination, par exemple de l’équilibrisme sur slack. Ensuite, nous attaquons la première unité d’endurance de la journée. En hiver : du ski de fond. Nous faisons généralement 30 à 50 km, pendant trois à quatre heures, en fonction du dénivelé.
Ensuite, il y a un petit casse-croûte. Selon le programme du jour, il nous reste le temps de faire une petite partie de ping-pong ou de fléchettes. Ces matchs sont toujours âprement disputés : nous avons des résultats si serrés que là aussi, c’est souvent le mental qui tranche.
L’après-midi, nous travaillons la puissance. Nous utilisons une machine spéciale pour la nuque et les bras. Nous sommes assis dedans presque dans la même position que dans la voiture, et avec des poids, nous simulons les forces. Avec des poulies, nous accrochons des poids à mon casque ou au volant, et je m’entraîne comme ça une heure et demie ou deux heures dans la machine. Mon record de masse totale mobilisée est de 101 tonnes.
Après la séance de puissance, souvent, nous faisons encore un peu de tir comme dernier exercice de concentration, pendant environ une heure. Ensuite, la journée est quasiment finie ! Nous tirons avec des pistolets à air comprimé, selon les mêmes règles qu’aux Jeux Olympiques, soit 40 tirs au total. Après, un petit tour au hammam ou au sauna, ou si quelque chose fait mal (la nuque le plus souvent), on peut avoir un massage.
Tu t’entraînes une fois par mois à Seefeld ?
Oui, dans la mesure du possible. Je fais alors cinq jours d’entraînement d’affilée.
Pourrais-tu imaginer vivre ailleurs, du point de vue de l’entraînement ?
Je me plais beaucoup en Suisse. On a des possibilités incroyables pour s’entraîner dans la nature, ce que personnellement je trouve plus agréable qu’une salle climatisée. Si on ne sait pas s’occuper seul, on peut s’ennuyer, mais quand on aime être dehors, le Seeland est parfait. Il n’y a pas trop de circulation, beaucoup de possibilités à vélo, l’hiver il y a de la neige dans le Jura, en été on peut rester sur du plat autour du lac, ou monter au Chasseral. Pour moi, c’est une combinaison idéale. À Monaco, je n’aurais pas autant de choix, le ski de fond, la randonnée à ski, le passage des saisons me manqueraient. En Suisse, il ne manque qu’une seule chose : un bon circuit !
As-tu déjà calculé combien de kilomètres par an tu fais en ski de fond ?
De décembre à fin mars, mon GPS indiquait 1 090 km.
Tu fais aussi de la course à pied ?
Ce n’est pas mon sport favori, mais j’en fais aussi, oui. Je préfère quand même les sports moins violents pour les articulations. Par rapport au jogging, le vélo a tendance à développer les muscles, donc dans mon cas, c’est un meilleur entraînement.
La préparation physique est très importante, mais celle du mental aussi. Comment te prépares-tu à la saison ou à une course ?
J’ai déjà parlé de quelques méthodes utilisées en entraînement chez Helmut Fink. Il y a encore beaucoup d’autres possibilités, mais je pense que fondamentalement, c’est une attitude face à l’existence, car quand on doit se préparer spécifiquement à chaque fois, c’est qu’on a un autre problème. Je me fixe toujours des objectifs à atteindre, même très banals, par exemple lancer le papier de mon chewing-gum dans la poubelle en décrivant l’arc le plus haut possible.
Qu’en est-il de la préparation lors des toutes dernières minutes, juste avant que tu ne montes dans la voiture ? Es-tu nerveux ?
Avant la course, je file aux toilettes. Puis je vérifie que la radio fonctionne et que la paille soit bien en place dans mon casque. Les ingénieurs ne donnent les prévisions météo et la stratégie à adopter. Être un peu nerveux est toujours positif, cela tient en alerte. Mais je sais que je ne peux faire que ce que je sais faire. Et cela suffit.
Quelle importance donnes-tu au repos et au sommeil ?
Je crois que je fais partie des rares pilotes capables de dormir sur un circuit ! Je m’allonge 10 à 15 minutes, après le déjeuner ou avant les qualifications, ou pendant la course avant de monter en voiture. C’est mon père qui m’a appris ça quand j’avais huit ans, et que je faisais du karting : « Maintenant, tu te couches et tu dors, après tu pourras mieux te concentrer. » Depuis, c’est ce que je fais toujours, ça ne peut pas faire de mal. Et la nuit, j’essaie de dormir environ huit heures. Je me couche en général entre 22 et 23 heures.
Et pendant le weekend de course, fais-tu du sport ?
Dans les courses européennes, presque jamais, car je suis déjà bien préparé quand j’arrive, et de toute façon il ne me reste pas assez de temps. En général, j’arrive le jeudi, ce qui ne fait que trois jours sur place, du vendredi au dimanche. Mais pour les courses outre-mer, la règle est de faire du sport avant le week-end de course, le but étant d’activer la circulation après un long vol et de lutter contre le décalage horaire. À Bahreïn, par exemple, je joue souvent avec mes collègues d’Audi au tennis-ballon. Nous faisons du sport avec les autres équipes pour les courses outre-mer. Mais c’est plutôt pour se mettre en mouvement et activer le corps.
Y a-t-il des préparations spécifiques à certaines courses, par exemple à celle d’Austin, où il fait si chaud ?
Pour se préparer à Austin, où la température devient extrême à l’intérieur de la voiture, je m’entraîne généralement le midi en juillet et en août. Cela simule un peu la chaleur. Pour les compétitions sous climat chaud, je pars plus tôt que d’habitude pour m’adapter aux conditions locales. Heureusement, je supporte bien la chaleur.
Comment te sens-tu après la course ? Épuisé ? Courbaturé ?
Pas complètement vidé, non, mais le corps se fait bien sentir, et sans physiothérapeutes sur le circuit, on le sentirait sans doute encore plus ! La nuque, les muscles du dos, les fessiers sont extrêmement sollicités, surtout en cas d’importantes forces centrifuges. Un exemple : notre pouls monte jusqu’à 190 battements par minute dans diverses situations de compétition, et le pouls moyen sur circuit se situe entre 140 et 160. À chaque manœuvre de freinage, il faut exercer une force sur la pédale de frein qui peut aller jusqu’à 70 kg. Nous avons des accélérations transversales qui peuvent atteindre 4 g, soit quatre fois l’attraction terrestre. Pour vous donner un ordre d’idées, je crois que dans une voiture normale, on arrive tout au plus à 1,5 g en freinant à fond.
Est-ce normal ou est-ce le signe d’un manque d’entraînement ?
Vous avez déjà vu un skieur passer l’arrivée sans être hors d’haleine ou un footballeur finir un match sans être fatigué ? Quand on pousse son corps aux limites, je crois que c’est toujours normal, mais on doit être suffisamment en forme pour être à 100 % de ses capacités. Si on n’en est plus capable, il faut se poser des questions sur son plan d’entraînement ! Il y a des circuits où on le sent moins, d’autres où on le sent plus. Silverstone, par exemple, est l’un des circuits les plus fatigants, à cause de ses virages rapides et des vagues sur le revêtement. Le Mans est un peu plus simple, car avec les longues lignes droites, on a un peu plus le temps de se remettre. Mais sur le plan mental, Le Mans est de loin le circuit le plus exigeant et le plus fatigant, avec ses vitesses élevées.
Quel est ton circuit préféré ?
Le Mans est l’un des circuits les plus top. Au Mans, il faut être prêt à prendre des risques pour être rapide, mais on peut aussi être largué très vite.
Un jour normal, en semaine, que fais-tu comme sport ?
Je mélange l’endurance et la puissance. Selon le temps, je fais du vélo, ou en hiver du ski de fond. S’il y a du vent, je vais plutôt en forêt. Je suis un grand utilisateur de l’application météo ! J’organise ma semaine en fonction d’elle. Je fixe tous mes rendez-vous les jours de mauvais temps pour pouvoir m’entraîner dehors quand il fait beau. Je fais aussi des exercices de musculation ciblés, que je peux faire chez moi. Cela me prend bien 20 heures par semaine.
Merci beaucoup pour cet entretien !
Interview Sophie Tanner
Photos Manuel Hollenbach